21.12.21

Le récit d'Armando

Il y a déjà quelques temps mon grand père Armando (mort cette année) avait fait un petit récit recueilli par mon frère. Le re voilà : RECIT D’ARMANDO SIERRA La vie à La Puebla Je suis né à La Puebla de Hijar en avril 1923. C’était un patelin de 1200 à 1300 habitants. Mes parents étaient des gens pauvres mais honnêtes. Durant 3 mois, mon père travaillait à la sucrerie ce qui était la seule source d’argent. Nous vivions en autarcie complète. Notre blé pour notre pain, des oliviers pour l’huile, des poules, des cochons, quelques chèvres. La vie à La Puebla était facilitée car on avait le chemin de fer Madrid-Barcelone. Nous étions heureux. Nous étions 6 frères et sœurs. Pédro né vers 1908, Elisa, née un an ou deux après, Théodore, Cista, Moi-même, Mariano. Mes parents avaient perdu un ou deux enfants. Quand les filles grandissaient elles devenaient bonnes. Elisa partit ainsi à Barcelone. Pedro s’en alla vivre à Sitgès. Ma mère ne savait pas lire mais on était bien dressé. J’ai quitté l’école à 8 ans pour travailler la Terre. Je savais lire et écrire. La révolution En 1931, la République a été proclamée. L’Espagne était un pays très catholique. L’Église dominait tout le monde. La révolution est partie de Barcelone. Ça c’est passé très mal : l’église a été saccagée. Une statue ne fait pas du mal. C’est idiot très idiot. Des religieux ont été tués. On tirait partout. Je ne comprenais rien. Le front s’est établi chez nous de septembre à novembre 1936. En novembre 1936, les bombardements commençaient. On se réfugiait dans un tunnel de chemin de fer. La sucrerie a été détruite. Je suis parti. J’ai atterri à Caspe .Je suis arrivé à Barcelone à pied, je n’avais qu’une paire de sandales. À Barcelone, j’ai retrouvé un copain de l’école. Pour manger, on volait. On allait au métro. On dormait couché dans le creux. Personne ne donnait rien du tout. Durant 8 jours il y eut des bombardements tous les jours. Les avions venaient de Majorque. Alors je me suis dit on va aller à Lerida, Saragosse, pour revenir à la Puebla. On est parti. On volait tout ce qu’on pouvait. On est arrivé à une ville. Il y avait la propagande pour s’engager dans l’armée. On nous a habillé. Je me suis échappé. On est arrivé à Lerida Marselias vers Lerida. On est resté une semaine. Les brigades internationales étaient là. Il y eut 2 ou 3 jours de bombardement. . On traverse un pont. Le pont explose. On a été projeté. Impossible d’aller plus loin. On va repartir sur Barcelone. On est reparti vers Sitgès. On s’est arrêté à la Cava (Deltebre). Là on nous a ramassé. Un bonhomme avec une charrette. Il nous a apporté chez lui. C’était un laitier. Grâce à lui je suis encore en vie. Ils nous ont alimenté , nous ont changé. Il nous a dit « vous allez travailler avec moi ». On m’a appris à tirer le lait. Il y avait un employé catalan qui ne parlait pas espagnol. On allait chercher l’herbe à la plage. On est resté bien 6 mois. Et là, je tombe sur mon père et ma mère, comme un miracle. Il y avait une fonderie pour fabriquer des armes à las Garofas. Ils ont fait comme un petit tunnel, on dormait là. Une fois, une bombe est tombée sur le refuge. Pendant la révolution, ils avaient fait des collectivités. Mon père y travaillait. Mon beau-frère ( celui qui est en Argentine), était dans l’intendance. Il récupérait le bétail gagné dans les combats. Il a dit à ma mère « fais venir Armando, on mange des moutons ». Ma mère m’a dit : « vas-y !». Mon beau-frère était un animal, un abruti. On y va ! Au bout de trois ou quatre fois lui restait et je partais essayer de récupérer ce qu’on pouvait. C’était très dangereux. Il y en avait cachés dans le maquis pour nous flinguer. On est resté 7 à 8 mois. On était canardé régulièrement. Franco avançait du côté de Valence. Il a fallu continuer vers frontière et on est parti avec le bétail fin 1938. L’arrivée en France A Saint Laurent de Cerda des Sénégalais nous ont expédié dans des camps. Nous avons passé un mois à attendre dans les montagnes pas loin du Canigou. Mon père, ma mère, ma sœur et ma nièce née en 1936. L’armée française venait avec des camions récupérer du bétail. On s’était fait avec des branches un cabanon. Dans une nuit, la neige est tombée entre 2 heures et 7 heures, il y en avait peut être 1 mètre 50, le bétail était étouffé. On nous descend au patelin. Un camion nous amène à une gare française vers Perpignan. On monte dans des wagons à bestiaux. On s’est réveillé à Montauban et de là on va à Septfonds. Il y avait 5 ou 6 hectares de terrain barbelés, avec des Sénégalais autour. Les baraquements étaient plus loin. Tous les matins on ramassait des morts. On nous envoyait par groupe. On nous donnait à manger : un grand pain faisait 6 parts. Quelle faim ! Aucune hygiène : on est resté trois ou quatre mois sans se déshabiller. Il y eut des morts en pagaille, ils sont au cimetière de Septfonds. Un être humain pour autant est très résistant. Tu ne peux pas t’imaginer la résistance qu’on peut avoir. J’ai connu un garçon de mon âge. Il connaissait le français. Un jour, ils annoncent par micro la venue du préfet de Montauban. Je dis à mon copain : c’est pas possible, il faut aller rencontrer le Préfet. Il nous a reçu dans son bureau. Il nous a écouté. Il a dit je vais voir ce que je peux faire. On est sorti deux ou trois jours plus tard :le haut-parleur a appelé tous les enfants de tel à tel âge ainsi que les vieux. On nous a fait une désinfection à la vapeur et mis la tête à zéro. On s’est retrouvé à Caussade vers avril ou mai. Il y avait une usine desaffectée où ont été regroupés les enfants, les femmes et les vieillards. On nous donnait deux ou trois francs par jour et nous faisions du feu. On regardait les annonces chaque matin et c’est ainsi qu’on a retrouvé ma mère avec mon frère (Mariano) : on les a fait venir. La guerre (1939-1945) En Septembre, il y eut les vendanges. On est parti à ce moment-là à la Magdeleine sur Tarn. Il y avait un ancien professeur de français à Barcelone, M. Jubé ? , qui parlait espagnol. On est resté un an, ma mère faisait la cuisine. Le début de la guerre a renforcé l’antipathie à notre égard. Les Français partaient nous on restait. On disait que nous étions des bandits. Mon beau-frère –le mari de Cista- était métayer à Roqueserières pour un notaire de Villemur. En 1940, on est parti à Roqueserière pour la ferme de M.Roques. Le patron nous a fait l’avance en tout (lit, couverture, vaisselle et même un cochon). L’hiver 1940 il faisait très froid. Le boulanger de Roqueserière nous donnait le pain –immangeable- on lui donnait le bois. A Saint-Sulpice-La-Pointe, il y avait un camp de concentration avec des militaires français, russes…certains se sont évadés, on en a ramassé 5 ou 6 mobilisés par les Allemands. Les réfugiés politiques comme nous ne pouvions pas être exportés vers l’Allemagne. Par contre, il y avait un droit de réquisition pour travailler en France. Un jour à Roquesérières, un colonel nous a réuni. On nous a convoqué à Muret pour nous expédier. Moi, je devais aller à Dunkerque. Je suis parvenu à m’échapper du train. A la Libération, le dernier jour, les Allemands ont pris dans un camion des prisonniers de la Prison St Michel et les ont amené en forêt de Buzet et les ont brûlé vif. Ils avaient pris aussi le Maire de Buzet et son fils et les ont fusillé. Nous, on a pu se sauver de justesse, tout le monde est parti. Ils n’ont pas bien fouillé puisqu’ils n’ont pas trouvé les aviateurs anglais. J’ai rencontré ma femme car suite aux bombardements de Toulouse elle était réfugiée à Roqueserières. Mais elle avait un mari qui était prisonnier. Lorsque les prisonniers sont rentrés, on nous a foutu dehors.

Mardi 21 novembre 2021

Il y a environ 1 mois mon grand père Armando est décédé dans son EHPAD à l'Union près de Toulouse. Du coup voici quelques photos avec lui...